.....les Français payés pour donner leur sang, une sécurité mise à mal, le spectre d'une nouvelle affaire du sang contaminé en toile de fond... De nombreuses craintes sur la filière du don du sang en France ont émergé alors que la production d'un type de plasma (la partie liquide du sang) est géré depuis le 1er février par une société privée et non plus par l'Etablissement français du sang (EFS).
Ce changement a entraîné beaucoup d'amalgames, regrettent les acteurs du secteur. A tel point que l'établissement s'est fendu d'un communiqué mercredi pour mettre fin à certaines rumeurs: non, l'EFS ne perd pas le monopole de la collecte et non, les donneurs ne seront pas payés.
"Des pratiques que l'on ne cautionne pas"
En revanche, l'établissement public n'a plus le droit de produire du plasma SD, un mélange de plasma de différents donneurs que l'on congèle et traite pour réduire la présence de virus. Ce produit est désormais considéré comme un médicament après une décision du Conseil d'Etat pour mettre la France en conformité avec la législation européenne. Cela signifie que seuls les laboratoires pharmaceutiques sont aujourd'hui autorisés à fabriquer ce produit.
En France, c'est Octapharma, un laboratoire spécialisé dans les médicaments dérivés du sang, qui reprend la main. "On fait entrer sur le marché français des firmes pharmaceutiques qui ont des pratiques dans le monde que l'on ne cautionne pas", dénonce Jean-Paul Nallatamby, représentant CFDT à l'EFS Rhône-Alpes.
Il fait allusion aux nombreux pays, comme les Etats-Unis, où les donneurs sont rémunérés pour leur sang. Un système qui va totalement à l'encontre de l'éthique du don en France, où l'on considère que seul le don gratuit, et donc désintéressé, peut permettre sa sécurité. Comme l'Organisation mondiale de la santé, qui a lancé un plan d'action en 2010 pour parvenir à 100% de dons de volontaires. "Les dons rémunérés font peser des menaces graves sur la santé et la sécurité aussi bien des receveurs que des donneurs eux-mêmes", justifie l'organisation.
L'éthique du don remise en cause?
De son côté, Octapharma France assure que conformément à la règlementation française, tous leurs produits dérivés du sang sont issus de dons de plasma dits "éthiques", c'est-à-dire "collectés auprès de donneurs volontaires et non rémunérés dans des centres de collecte type Croix-Rouge en Allemagne, en Suisse, en Suède ou aux Etats-Unis".
Si cette éthique du don et le monopole de la collecte par l'EFS ne sont pas remis en cause par la privatisation de la fabrication du plasma SD, les craintes d'une partie des acteurs du secteur semblent cependant bien fondées. "La filière plasma en France est effectivement très fortement questionnée", reconnaît Stéphane Noël, directeur général délégué de production et opérations de l'EFS. Un audit commandé par le ministère de la Santé, mené conjointement par l'Inspection générale des affaires sociales et l'Inspection générale des finances cristallise les angoisses des personnels de l'Etablissement français du sang.
"Les inspecteurs essayaient de nous convaincre"
Habituellement, les discussions lors de ce type d'audit sont très ouvertes, soulignent plusieurs responsables syndicaux, qui ont manifesté le 27 janvier devant le ministère de la Santé contre la "marchandisation du sang". Cette fois, l'ambiance était vraiment différente. "Les inspecteurs nous posaient des questions bien orientées, explique Régine Basty, déléguée centrale de la CFDT à l'EFS. Ils essayaient de nous convaincre." Notamment du bien-fondé de confier la collecte du plasma à une structure publique, le Laboratoire de fractionnement des biotechnologies (LFB), qui fabrique des médicaments dérivés du plasma. Une décision qui pourrait non seulement menacer des centaines d'emplois, mais aussi la sécurité des patients, estiment les syndicats.
Or, la loi de 1993 relative à la sécurité en matière de transfusion sanguine votée après l'affaire du sang contaminé a instauré la séparation entre ceux qui prélèvent et traitent le sang (l'EFS) et ceux qui fabriquent des médicaments à partir de ces produits (le LFB). "L'absence de séparation est d'ailleurs l'une des causes identifiées dans le scandale des années 80, rappelle Serge Dominique, délégué central Force ouvrière à l'EFS. Je crains qu'un industriel soit moins regardant sur la qualité puisqu'il faut être compétitif face aux multinationales." La concurrence fait effectivement rage dans le domaine des médicaments issus du sang et le laboratoire doit pouvoir répondre aux appels d'offres des hôpitaux pour ne pas perdre de parts de marché.
"L'éthique, c'est ringard"
Cette "industrialisation" fait aussi craindre aux syndicats la fin de la gratuité du don. Paradoxalement, comme il est plus difficile à organiser, le "sang gratuit coûte plus cher que le sang rémunéré", explique au Monde Angèle Hermitte, directrice d'études à l'Ecole des hautes études en sciences sociales.
"Un inspecteur m'a demandé ce que je pensais de la gratuité du don puis a fini par me dire: 'L'éthique, c'est ringard',affirme Régine Basty. Leur argument, c'est que la gratuité du don ne fait pas la sécurité." Certes, la crainte de voir des donneurs dissimuler leur état de santé pour gagner de l'argent n'est pas justifiée: en France, "les règles de sécurité sont bien supérieures à celles des autres pays", rappelle Serge Dominique. En revanche, "indemniser le donneur -c'est ce que l'on dit en termes politiquement correct", ironise Régine Basty, "c'est ouvrir la voie à une marchandisation du corps humain..